La vie à la quinzaine
Il y avait les temps de guerre bien sûr. Léocadie avait 14 ans quand les allemands débarquaient. Il y a tant à raconter, tant à consigner, tant à transmettre également– Sa vie est un véritable patrimoine qu'il faut sauvegarder, un véritable patrimoine fragile pendu aux dernières années de sa vie qui se dérobent de plus en en plus vite et qui peuvent aussi s'arrêter à tout moment – comme tout à chacun d'ailleurs, la condition humaine est à la fois merveilleuse et cruelle – personne ne se souvient de sa naissance et personne ne connaît l'heure de son trépas.
Consigner une existence, c'est aussi un pas vers l'immortalité, de garder dans nos cœurs et dans celui des descendants une mémoire de ses aïeux et une connaissance de ses propres origines.
J'aurais pu vous conter les moments âpres de la guerre où l'on calfeutrait les fenêtres avec des serviettes et autres couvertures pour ne pas les voir exploser en mille morceaux lorsque les bombes s'écrasaient au sol mais je préfère vous conter un jour heureux, un jour qui marqua les cœurs de César et de Léocadie, le jour où Papy embrassa pour la première fois Mamy ....
tout le monde demandait : comment t'as connu ? On n'a rien vu ?!?
Été 47, j'avais une vingtaine d'année.
J'étais invitée au mariage chez une voisine de ma grande copine Edwige. C'est son frère qui se mariait, la fille n'avait pas de copine alors ils ont pris moi et Hélène, car on connaissait la sœur (Edwige). Il y avait aussi Jodjia, Reltchia ; bref c'est comme ça que ça se passait avant. On était tous de la même cité.
Moi j'étais avec un garçon d'Arnes qui voulait fréquenter avec moi mais ça ne me disait rien. Il m'a accompagnée quand même.
Je me souviens, je disais tout le temps à Edwige :
« c'est moi qui choisira le garçon, c'est pas le garçon qui va me choisir » c'est comme ça que je voyais les choses.
Au mariage, chacun était avec un autre , Papy, lui, il était musicien au mariage, il jouait du bandonéon avec les autres hommes et il a dit à l'un d'eux : « tu vois la fille là, un jour elle sera à moi !
Mais il a gardé ça pour lui et puis moi, de toute manière, il ne m'intéressait pas du tout, je le voyais passer dans la cité avec une fille ou une autre quand il allait au cinéma, c'était juste un ami de mon frère.
Bref revenons, au mariage ;
On était là, on bavardait entre filles et puis, tout à coup, je ne vois plus Hélène, alors je commence à la chercher, pas moyen de la trouver, alors je la cherche partout, je vais dehors et là Papy sort aussi, arrive auprès de moi, il dit rien , il s'avance et d'un seul coup, il me prend et Mouahou !!!!!!! gros bisous – Il m'a collée contre le mur et il m'a embrassée fougueusement !
Et le pire c'est que je ne me suis pas débattue !! j'ai rien vu venir, j'ai pas compris ce qu'il m'arrivait
et depuis ce temps là, on est resté ensemble –
Tout le monde se demandait d'ailleurs comment on avait fait pour être ensemble, on n'a jamais fréquenté même s'il venait parfois jouer aux cartes avec mes frères, je l'ai jamais remarqué. Tu te rends compte un peu ??
Il a dit à mon frère ; « quand j'ai embrassé ta sœur, ça m'a fait... tout partout dans tout le corps, j'ai su que c'était celle lal* »
et tu vois, c'est pas moi qui a choisi , c'est lui !! :)
Au début, on avait du mal à se voir à cause du travail et puis rapidement il a demandé à se marier – j'avais pas besoin de parents, j'avais 21 ans et lui 25 ans et a on a vécu 60 ans jusqu'à sa disparition en 2011 – aujourd'hui il aurait 93 ans et on serait toujours mariés.
:-)
Mon grand père était un chti du nord et il disait celle lal, chti lal, pour dire celui là ou celle là, j'ai pris soin d'ailleurs de respecter la manière de parler dans ma façon de retranscrire les échanges.
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